Un bonheur simple, mais une expérience inoubliable
Je terminerai cette série sur la Côte-Nord en vous parlant d’une activité qui nous tient particulièrement à coeur et que nous pratiquons chaque fois que nous allons dans cette région côtière. Encore cet été, nous sommes allés aux Escoumins et n’avons, bien entendu, pas pu résister au bonheur d’une rando sur les rochers de la berge et d’une longue sieste sur un lit de pierre en écoutant le souffle des baleines.
La marche sur les rochers est l’une des activités familiales les plus extraordinaires qui se puissent. Les enfants se prennent pour des alpinistes et des découvreurs. Les adultes se laissent séduire par un paysage magnifique et changeant. Et c’est économique en plus !
En marchant sur les parois rocheuses qui ont été modelées par les marées, les tempêtes, la glace et les vents, les rochers nous parlent de la création de la terre et du passage des glaciers. La flore discrète, mais incroyablement riche qui s’y accroche nous ouvre un monde fabuleux qu’on adore photographier et identifier. Toute mare d’eau est un jardin de vie et chaque petit racoin cache des familles d’oiseaux marins. Au loin, les bateaux font l’aller-retour vers les bouts du monde alors que les baleines improvisent un ballet sous nos yeux. On voit tout ça, juste en marchant sur les rochers.

Un jeu
Précisons d’abord que marcher sur les rochers, ce n’est pas marcher sur la plage. Ça n’a rien à voir à dire vrai. Il faut presque réapprendre à marcher pour se balader sur la pierre et, surtout, il faut regarder très attentivement où on met les pieds. Les enfants partent tous à belle épouvante, se pensant sur un trottoir déboîté de Montréal. Mais c’est pire encore ! Tellement que ça devient un jeu que de sauter d’un bord à l’autre des failles, de faire quelques arabesques gracieuses d’une aspérité à l’autre ou de bondir sur les pierres en tentant de maintenir son équilibre. Une part du jeu consiste également à identifier le bon chemin à prendre, celui qui ne nous obligera pas à faire demi-tour devant une muraille infranchissable ou un étang trop profond. C’est là qu’on identifie les leaders naturels et les suiveux qui, comme chantait Georges Langford avec l’accent des Îles, sont toujours derrière. C’est là qu’on reconnaît les aventuriers dès le plus jeune âge, ceux qui veulent toujours conquérir le sommet suivant et qui s’y dressent bien droit devant la brise ou dans la brume du large, comme s’ils étaient sur le toit du monde. Mais ce n’est pas tout de marcher. Il faut surtout savoir s’arrêter. Se pencher pour admirer les petites plantes qui s’arrachent la vie dans un des environnements les plus difficiles qu’on puisse concevoir. On se relève pour balayer du regard la surface de la mer comme le périscope d’un sous-marin, à la recherche de toute manifestation animale ou humaine. Et, par expérience, certains vous diront aussi que l’une des plus grandes joies des rivages de calcaire, mais, surtout de granit, est d’y trouver une rondeur creusée et bien adoucie par le mouvement des glaces, un endroit chauffé par le soleil de préférence, pour se lover avec un bon livre ou même, s’abandonner à un petit roupillon.
Quelques dangers
Ce type de promenade n’est cependant pas sans danger, le plus habituel étant de se péter la margoulette à la suite d’un faux pas. Voilà qui est généralement sans grande conséquence et c’est souvent la seule chose qui dissuade les enfants de courir comme des poules sans tête. Ce n’est pas le cas d’une chute dans l’eau qui, n’importe où en aval de Tadoussac, peut s’avérer mortelle à cause de la température glaciale de la mer. Il faut donc absolument se tenir éloignée de la démarcation de couleur verte qui marque la hauteur de la marée. Il s’agit d’une mince couche d’algues aussi glissante que la glace. Et comme elle borde toujours la limite de l’eau et que cette surface est souvent en pente, il n’y a plus d’appel possible une fois les quatre fers en l’air.
Où ça ?
D’abord, il y a beaucoup moins de rochers accessibles à pied que de plages. Sur la rive nord du Saint-Laurent, on compte les belles parois de granit sécuritaires et intéressantes sur les doigts d’une main. Côté Sud, les rives rocailleuses ont tendance à être complètement submergées à mer haute, ce qui ne les rend accessibles que quelques heures par jour. Où donc aller pour être certain de vivre une expérience unique ? Le premier endroit à recommander demeure la section côtière qui fait partie du Centre d’interprétation et d’observation de Cap-de-Bon–Désir, une étape du Réseau découverte du parc marin Saguenay–Saint-Laurent. On y trouve près d’un kilomètre de rochers accessibles entre, grosso modo, le camping Bon-Désir, le Paradis marin et le camping Mer et Monde Écotours, les trois dans la municipalité de Grandes-Bergeronnes, à une trentaine de kilomètres de Tadoussac. La spécialité de l’endroit reste l’observation des baleines à partir du rivage, mais cette côte est un univers de découverte à elle seule.

Tadoussac
À Tadoussac, la Pointe-de-l’Islet, qui fait partie du parc national du Saguenay, ne donne pas sa place non plus. Un court sentier, presque totalement aménagé sur une passerelle, fait le tour de cette pointe qui sépare la baie de Tadoussac et l’embouchure du fjord du Saguenay. Mais, c’est bien plus drôle d’en faire le tour sur les rochers en partant du Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM). Dès le départ, on a une vue extraordinaire sur le fjord, les traversiers, Pointe-Noire en face, puis l’estuaire du Saint-Laurent. Sur l’extrémité de la pointe, on peut passer des heures à observer les petits rorquals qui viennent s’alimenter ici, les bateaux qui entrent et sortent du Saguenay, les traversiers qui relient les deux berges et les kayakistes qui naviguent tout près.
La Pointe-de-l’Islet se trouve en pleine zone d’influence du fjord du Saguenay, à la rencontre des eaux douces qui s’écoulent de la rivière et des eaux salées du fleuve, qui se heurtent sans se fondre, provoquant des mouvements d’eaux impressionnants et facilement perceptibles visuellement. La faune humaine y est également particulièrement remarquable puisqu’on y entend parler toutes les langues et qu’il arrive même qu’on y aperçoive des moines tibétains…
Plus loin sur la Côte-Nord, l’archipel des îles de Mingan (Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan), dont l’île Quarry en particulier avec ses monolithes, réserve une expérience puissante aux adeptes de marche sur les rochers. Et que dire de l’île Anticosti avec ses kilomètres de reefs qui se dégagent à marée basse. Certains secteurs de l’île aux Coudres, de l’île d’Orléans, de la Côte-du-Sud (Bas-Saint-Laurent) et d’autres que vous connaissez proposent des rochers plus attirants les uns que les autres. Finalement, pour vivre vraiment l’aventure de la marche sur les rochers, il faut alors se tourner vers le Centre boréal du Saint-Laurent qui nous fait vivre l’initiation à la via ferrata ou la balade au pied des chutes de l’anse Saint-Pancrace.

Quoi voir ?
Les milieux marins (en eau salée) foisonnent littéralement de vie, mais encore faut-il faire un petit effort pour les observer et, plus encore, pour les identifier. Les fleurs attirent d’abord le regard et, parmi celles susceptibles de pousser dans la moindre anfractuosité, l’iris versicolore, l’emblème floral du Québec, mérite notre admiration. En lisière de la forêt, les plus chanceux apercevront le magnifique cypripède acaule, mieux conne sous le nom de Sabot de la Vierge, ou les fleurs timides du rosier inerme. On voit aussi des tapis de Quatre temps (cornouiller du Canada) avec leurs fleurs blanches au printemps qui deviennent fruits orangés à l’automne. La Sarracénie pourpre (qu’on appelle aussi chou puant) fascine les enfants puisqu’il s’agit d’une plante carnivore qu’on trouve dans les bassins marécageux. La kalmia étonne par la rudesse de ses branches, mais la beauté de ses grappes de fleurs mauves. Entre les rochers (à Tadoussac en particulier), on reconnaît la Gesse maritime avec ses petites fèves qui recèlent des pois délicieux. On peut aussi croquer l’airelle Vigne-d’Ida qui a un bon goût de pommette.
En milieu marin, on s’attardera beaucoup aux algues qui caractérisent l’environnement et lui donne une odeur bien typique. Les grandes laminaires, qui ressemblent à des pâtes de lasagne, viennent parfois s’échouer sur les bords, mais ce sont les fucus qui occupent le terrain avec leurs lanières étroites et leurs gamètes qui ont l’air de petits concombres. Si vous regardez bien dans les cuvettes, vous verrez aussi des minuscules crevettes qui se déplacent rapidement. Il s’agit du krill, dont le Saint-Laurent recèle des millions de tonnes et dont les rorquals se régalent. Ensuite, en marchant au niveau de la mer, vous remarquerez peut-être un bruit de crunch crunch sous vos pas ? C’est que vous êtes en train d’écraser des dizaines d’escargots minuscules, des Littorines rugueuses, dont vous verrez aussi des membres de la même famille un peut plus gros. Ailleurs, vous verrez des grappes de moules bleues qui s’accrochent au fond ou plein de coquillages de coques, de myes, de couteaux, de buccin ou même des carcasses d’oursins que les mouettes laissent tomber du ciel pour les fracasser sur la pierre. Voilà un monde à découvrir dont tout ceci n’est qu’une infime fraction.

Deux ouvrages pour vous accompagner dans votre exploration :
Plantes sauvages du bord de la mer, Guide d’identification Fleurbec
Algues et Faune du littoral du Saint-Laurent maritime, Robert Chabot et Anne Rossignol