Turbulences à bord
Samedi matin 17 avril, nous reprenons la route après trois jours à Bayfield — Durango. Un coup d’oeil à l’atlas me permet de constater la présence d’une cocarde plaquée juste à côté la route 550 pointant vers le Nord, en direction nord de Silverton et de Ouray. La présence de ce petit symbole annonce qu’il s’agit d’une route panoramique jugée particulièrement intéressante par les auteurs de l’atlas. C’en était décidé pour le trajet de la journée.
La justification de la cocarde allait nous apparaître après seulement quelques kilomètres de route. Cette route fonçait droit sur les Rocheuses. En moins d’une heure, nous étions passés de 1 600 mètres d’altitude à 3 850. Des virages en épingle affichant souvent une vitesse maximale de 16 km/h, des canyons, des précipices et une ascension digne de l’escalade.
Plus on montait, plus le Jeep s’essoufflait, rotait, pétait. Il avait peine à respirer. À Michelle qui craignait un problème pouvant conduire à une panne sur cette route isolée, j’expliquai que cette situation était seulement la conséquence de la raréfaction de l’air. Comme tous les moteurs ne bénéficiant pas de la présence d’un turbo, le Jeep manquait d’air. Parce qu’il ne réussissait pas à tout brûler son essence dans les cylindres, ce qui en restait prenait feu à la sortie du pot d’échappement. Impressionnant, mais pas vraiment inquiétant. Je lui promis que lors de notre prochain voyage, ce problème n’existerait pas puisque le moteur diesel de la Sprinter serait turbocompressé. De toute façon, dès que nous commencerions à perdre de l’altitude, tout rentrerait dans l’ordre.
Difficile de dire jusqu’à quel point cela la rassura puisque trente minutes plus tard de ce manège, n’en pouvant plus, elle s’exclama, dans une explosion d’émotion: « J’suis tannée des précipices de câliss… ». Surpris et pris de court par un tel langage, il s’en fallut de peu pour que je dévie de ma route et déboule le précipice. Pour la détendre un peu et faire baisser sa pression, je lui soulignai qu’elle avait un réel talent pour la rime. Cela produisit l’effet recherché. Faut quand même préciser que la route était en très bon état, asphaltée et sécuritaire. De plus, la vitesse à laquelle nous roulions donnait amplement le temps d’admirer le paysage.
Juste avant d’entreprendre la descente, nous arrivâmes à Silverton, une ville isolée, perdue dans toute cette nature de roches, de neige, de canyons et de montagnes. Développée à la faveur d’une industrie minière qui fut un jour prospère, Silverton ne survit plus aujourd’hui que par les touristes qui descendent d’un vieux train à vapeur venant de Durango durant la saison estivale.
Pour aider à comprendre l’isolement de cette ville, la propriétaire du restaurant où nous avions décidé de prendre le lunch, dans la municipalité d’Ouray, au début d’une longue vallée, nous apprit qu’il est des hivers où des avions doivent larguer des provisions aux gens de Silverton tellement ils sont coupés du reste du monde. La restauratrice nous avoua avoir de la difficulté à comprendre ce qui pouvait pousser des gens à habiter un tel lieu.
C’en était fini, du moins pour la journée, des précipices et des côtes, car tout au fond de la vallée, la route s’amusait à suivre les méandres de la rivière Uncompaghre en direction de Delta. Le Jeep avait repris son souffle et digérait sans difficulté toute l’essence qu’il ingurgitait. Pas le moindre rôt. À bord aussi, l’atmosphère était revenue au calme.
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