Pour tout être vivant, la perception permet d’accumuler des renseignements sur son environnement, d’identifier les moments de danger comme ceux de plaisir, bref, d’entrer en relation avec le monde extérieur et d’y survivre. Aussi essentielle qu’elle puisse être, la perception s’accompagne d’une multitude de déformations.
Pendant que le myope voit le monde d’une façon embrouillée, son voisin, possédant une vue normale, distingue avec précision le contour des objets qu’ils soient près ou loin. Le daltonien confond facilement les couleurs alors que le sourd vit dans un silence plus ou moins absolu.
Si un sens déficient suffit à modifier notre perception de l’univers, celle-ci est encore plus touchée par notre façon d’interpréter les données que nous fournissent nos sens. Chaque fois que nous voyons, entendons, touchons, sentons ou goutons quelque chose, nous puisons dans nos souvenirs, nos peurs, nos frustrations, nos désirs ou nos valeurs afin de mieux l’interpréter. À la longue, cette façon de faire sculpte notre pensée, fait de nous un progressiste ou un dinosaure, un être agréable ou un grincheux.
Un des effets pervers liés à cette façon de regrouper les différentes informations nous fait souvent tourner les coins ronds et donne fréquemment naissance aux préjugés.
En voici une illustration. Il y a quelques semaines je vous invitais à surveiller le montant payé lors du plein d’essence afin de vous assurer que l’escompte promis était bien réel.
Après avoir lu mon carnet, un lecteur grimpa aux barricades. Faisant fi de la légitimité de profiter du rabais sur l’essence lié à la carte de membre de la FQCC, il se lança dans une charge contre les pingres au portefeuille bien rempli rechignant à payer pour un camping préférant passer la nuit dans le stationnement d’un Walmart.
Il était difficile, au ton de son commentaire de ne pas penser que derrière ses mots pointait sans doute une certaine frustration de ne pouvoir en faire autant. Insécurité à dormir hors des campings ou désir insatisfait de posséder une caravane luxueuse, je ne saurais dire ce qui l’animait. D’ailleurs, ce commentaire émanait peut-être d’un gérant, frustré de voir les caravaniers préférer un stationnement gratuit à son propre camping.
Les motifs à la base de ce commentaire plutôt virulent importent peu. Ce que j’en retiens, c’est que l’idée que ce lecteur se faisait du boondocking était empreinte de distorsion. ( Je sais, ce mot vient d’une autre langue, mais je ne crois pas qu’il y ait un mot français pour rendre pleinement justice à qu’il évoque. Comme on dit camping, caravaning, je crois qu’il est de bon aloi de dire boondocking)
À l’occasion, j’aime bien faire du boondocking. Cela me permet de mesurer à sa juste valeur la complète autonomie que procure un véhicule récréatif. D’ailleurs il est souvent plus facile de trouver un emplacement de niveau dans un stationnement que dans certains campings désuets datant du temps où le camping se pratiquait en tente ou en tente-caravane. Bien sûr, je ne saurais rechigner sur les quelques dizaines de dollars économisés lors de ces arrêts faciles.
Je crois toutefois que cette dernière raison vient bien loin derrière le précédentes. Reprocher à quelqu’un de faire du boondocking — de façon discrète et respectueuse s’entend — me semble aussi ridicule que de vouloir interdire à quelqu’un d’aller à la pêche sous prétexte que le poissonnier vend du poisson. Le plaisir d’aller pêcher ou de faire du boondocking, voilà où se cache la motivation profonde.
…sous prétexte que le poissonnier vend du poisson…
un de vos plus beaux billets,M.Paul.
Comme à l’habitude c’est un très beau texte avec d’excellents commentaires. Votre comparaison avec le poissonnier me fait penser un peu aux commentaires des proprios de camping de Matane.
Je remarque que la plupart du temps les personnes qui critiquent le ” boondocking ” sont des gens qui n’en font pas ou très peu. Personnellement je suis un adepte du boondocking mais surtout celui qu’on peut pratiquer dans l’ouest, dans la nature. J’aime bien aussi des endroits comme celui en face de la basilique de Ste Anne de Beaupré, en bordure du St. Laurent surtout pendant la semaine, on bénéficie d’un beau grand terrain avec des voisins qui sont passablement loin, beaucoup plus que sur un terrain de camping.
Un grand philosophe, ce Monsieur Laquerre et merci pour ce Blog – Ne suis pas un boondocker mais j’apprécie ceux qui savent comment et qui ont une belle expérience.
Votre dernier paragraphe, à lui seul, aurait été suffisant pour expliquer votre point de vue. J’aime bien l’exemple su poissonnier.
Il faudrait bien un jour qu’un Européen vienne nous donner son point de vue sur le boondocking étant donné qu’en Europe, il me semble en tout cas, que le camping, c’est l’activité qui permet à des gens de rester quelques jours ou quelques semaines à un endroit alors que le caravanier-voyageur préfère toutes ces aires de stationnement gratuites et très bien organisées qui jalonnent son parcours et lui permet de visiter très facilement une ville, un monument, un bord de mer.
Excellentes observations de Paul Laquerre. Le boondocking a sa place parmi l’ensemble des moyens de voyager. Question de goût qui peut être, effectivement, conditionné par bien d’autres facteurs.