La fameuse Route 1 islandaise. Surnommé The Ring Road, cet anneau unique de 1 300 kilomètres ceinture cette ile grande comme l’Angleterre. Mince lacet faufilé entre la mer rageuse, les volcans éteints et les pâturages de moutons, elle fait la promesse d’un périple épique au pays des anciens Vikings.
La Ring Road représente la quintessence de la route panoramique. Plusieurs publications spécialisées la considèrent comme l’une des plus belles du globe. Chaque été, des caravaniers du monde entier viennent par milliers la découvrir. D’abord parce qu’elle est incontournable pour visiter ce pays hors du commun, mais également pour le plaisir qu’elle procure à négocier ses courbes. Elle est une attraction à elle seule.
Son tracé est un bijou, presque une œuvre d’anthologie. On croirait que ses ingénieurs l’ont dessinée à regret, parfois toute en zigzags à travers les rochers et les vallons, avec l’obsession de ne rien saccager du paysage. Pas plus large que nécessaire, sans fossé ni accotement, elle se glisse en toute discrétion entre les pâturages, sur les berges des rivières ou à flanc de montagne. Avec ses montées en lacets, ses virages serrés dans les fiords et ses petits ponts à voie unique, la Route 1 procure un réel plaisir de conduite, presque sportif. Même au volant d’un camping-car filant à 90 km/h maximum.
Contempler les forces de la nature
Se promener ainsi sur le littoral et sur les crêtes provoque un ravissement toujours renouvelé, mais expose sans cesse les voyageurs aux caprices de la météo islandaise. Ses fréquentes tempêtes de vent peuvent déporter sans crier gare n’importe quel véhicule. Dans les cas extrêmes, elles sont capables de renverser une camionnette, comme on l’a vu sur YouTube.
La nature changeante de l’Islande en fait les beautés et les dangers. Depuis des millénaires, les éléments s’y entrechoquent dans un malström d’eau, de vents et de roche en fusion pour créer des paysages toujours en évolution. La terre crache toujours une eau bouillante à Geysir et des étangs de boue bouillonnent dans des nuages de vapeur nauséabonde à Hverir. Des icebergs se détachent du plus grand glacier d’Europe pour dériver en toute beauté dans la lagune à Jökulsárlón. Et que dire de la nouvelle ile (!) qui a surgi de la mer un beau jour de novembre 1963 dans l’archipel de Vestmannaeyjar, résultat d’une éruption sous-marine ? La terre ici n’est pas une nature morte.
Partout se dévoile cette nature aussi vierge que démesurée. Un premier arrêt au lac Þingvellir, à 50 kilomètres de Reykjavík, permet de prendre une première mesure de son gigantisme. À cet endroit se rencontrent les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne ! Elles s’écartent toujours, quelques millimètres par année. Debout devant cette haute et longue muraille qui se fond dans l’horizon, on se sent véritablement aux portes d’un autre monde.
L’image n’est pas exagérée. Ce lieu a contribué à la naissance d’une société totalement nouvelle. En l’an 930, après avoir fui la violence de la monarchie norvégienne, les premiers colons vikings s’y sont réunis pour fonder le premier parlement de l’histoire. Ils s’y sont rendus ensuite chaque année, en juin, pendant plus de trois siècles pour discuter de lois et régler leurs différends juridiques. C’est aussi en ce lieu, toujours cher aux Islandais, qu’a été proclamée l’indépendance du pays en 1944.
Les chutes de Gullfoss, quelques dizaines de kilomètres plus loin, sont à la même échelle. Des millions de tonnes d’eau y basculent deux fois sous nos yeux avant de s’engouffrer dans une profonde gorge creusée au milieu d’une plaine désertique. Surgirait un tyrannosaure dans ce décor jurassique qu’on ne s’en étonnerait pas.
Une beauté ineffable
En route vers le parc national de Skaftafell, une fois passé le village de Vík, on roule pendant plus d’une heure dans un grand désert de lave. Alors que devant nos yeux se découpent de hauts sommets blancs sur ciel bleu, une immense langue blanc et noir du glacier Vatnajökull s’avance sur notre gauche. À droite, on devine les rives de l’Atlantique. Et un coup d’œil dans les rétroviseurs nous fait réaliser qu’on traverse une carte postale sur 360 degrés.
Ces moments d’extase se répètent sans cesse. Ainsi, quelques kilomètres après Höfn, un ancien volcan surgira au détour de la route. Immense. Son sommet tronqué fait voir son cratère d’une parfaite rondeur. Il ne suffirait de presque rien, croirait-on, pour le rallumer. La route nous conduit droit dessus avant de s’engouffrer dans un tunnel sous le monstre endormi !
Plus loin, c’est le choc titanesque entre la mer et la montagne dans les fiords. Suivront les grands plateaux enneigés entre Egilsstaðir et le lac Mývatn, les chutes Dettifoss et Goðafoss qu’on croirait sorties de nulle part, l’indolente Akureyri lovée au fond de son profond fiord, les descentes vertigineuses au fond de vallées verdoyantes à l’approche de Blönduós… Sur la carte routière, un simple trait bleu entre deux villages reculés aux noms imprononçables apparait souvent comme un tronçon sans intérêt. Et on se trompe immanquablement.
Pour le gite et le couvert
En Islande, le plaisir de la route se conjugue aux délices de la table. Le menu des bonnes tables se compose essentiellement de produits locaux : de l’agneau, du mouton et du poisson du jour. La simple fraicheur des aliments suffit à révéler toute la saveur des plats. On en fera la délicieuse expérience chez Pakkhús à Höfn, au bistro Skaftfell à Seyðisfjörður, chez Örkin Hans Nóa à Akureyri ou encore au Cowshed Café à Mývatn.
Un coup du cœur ? La soupe de poisson au Fjöruhúsið Café à Hellnar, à l’entrée du parc national de Snæfellsnes. Dans cette maison de quelques tables, minuscule et ancestrale, la cuisinière et propriétaire adapte sa recette à la récolte du jour de son mari pêcheur. Un festin dans un bol.
Pour la nuit, chaque village possède d’ordinaire un terrain de camping, parfois minuscule, rarement très grand, ou encore une halte routière. Les campings se limitent souvent à de simples espaces gazonnés, pourvus de bornes électriques, où chacun s’installe comme bon lui semble. Les tables à piquenique se font rarissimes et les blocs sanitaires rappellent parfois l’époque rustique des camps de vacances de notre jeunesse. Réserver son emplacement relève souvent de l’impossible. Il y a de la place pour tous, nous répond-on.
Devant ce manque de services, plusieurs caravaniers ont longtemps choisi de se garer aux abords de la route, de la mer ou des terres agricoles – bref, un peu partout – pour profiter du paysage sans débourser un sou. Cette pratique longtemps tolérée en Islande est maintenant déconseillée, sinon interdite à plusieurs endroits. L’explosion touristique, stimulée par l’avènement des vols aériens à bas prix, pousse à sa limite la patience des Islandais. De plus, on a observé que de stationner n’importe où détruit la nature, l’environnement et cette mousse au sol qui prend des centaines d’années à se former…
L’industrie du camping cherche à rattraper son retard, à s’ajuster à la demande et à rehausser ses standards. De nouveaux campings, notamment à Grindavík, sont construits selon les normes actuelles. Ailleurs, stimulés par l’arrivée hâtive des touristes au printemps, plusieurs terrains devancent désormais leur ouverture en mai et repoussent leur fermeture en septembre.
De toute manière, il n’y a pas de raison de s’éterniser au camping. En été, le soleil ne se couche jamais sur l’Islande. La Route 1 nous attend. Nous sommes là pour elle.
Texte et photos : André Laroche
Magazine Camping Caravaning, vol 23/no 1, mars-avril 2017.
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