Île-du-Prince-Édouard / Circuit côtier North Cape
Là d’où vient le vent…
Le circuit touristique qui nous conduit sur 300 km jusqu’à l’extrême pointe nord de l’Île-du-Prince-Édouard nous amène dans la région des huitres et dans celle des Acadiens tout en convergeant vers une pointe effilée qui arrive à fendre les forts vents du large.
Si l’on aborde ce parcours par le versant atlantique, au nord, on croise d’abord deux baies géantes recouvertes d’alignements de bouées comme une armée de casques colorés au bord d’un débarquement. Le nom de l’une d’elles, à lui seul, fait savourer les épicuriens : Malpèque.
Un terrain d’essai

Chemin faisant, on arrive au bout du bout. Sur une pointe qui ne cesse de rétrécir entre deux falaises rougissantes. L’ambiance est diffuse sur cette terre de vent reconnue comme l’une des plus exposées au pays. Malgré ce souffle qui se manifeste avec arrogance, le brouillard s’accroche obstinément. Derrière le cheval couché au milieu d’un cercle de terre nue, l’ombre d’une grande éolienne se démarque à peine. On distingue mieux les immenses moulins à vent au-dessus d’un amoncèlement de cages à homard qui ruissèle à l’humidité. Nous sommes ici dans un vaste champ d’expérimentation peuplé de géants qui font sans arrêt des grands signes avec leurs bras pour saluer le vent. Pour eux, Éole n’est pas rien que du vent… C’est aussi, et surtout, de l’énergie. Le Terrain d’essais éoliens de l’Atlantique convertit depuis vingt ans le souffle de la mer en énergie renouvelable et il analyse scientifiquement toutes les facettes de cette alchimie. On ne saurait imaginer pires conditions. Exposées sur 300 degrés de circonférence, les éoliennes subissent sans arrêt les assauts brutaux du golfe Saint-Laurent, le sel corrosif et la glace paralysante. Certaines d’entre elles battent au vent depuis deux décennies et leur allure austère de poteau de tôle, comme on les voyait à côté de granges isolées, trahit leur âge. D’autres font figure de Goliath et nous laissent entrevoir ce que seront les barrages à vent du futur prochain, dans moins de 15 ans peut-être, alors que l’Île-du-Prince-Édouard devrait tirer la totalité de son énergie électrique de systèmes éolien-diésel. Pour l’instant, le Terrain d’essais éoliens de l’Atlantique accueille des ingénieurs et des scientifiques de partout qui viennent observer les hélices qui battent au vent. Les touristes aussi sont bienvenus sur le site à l’heure des visites guidées très intéressantes.
Sentant le vent tourner, on a aménagé Le Centre d’interprétation de North Cape qui présente des expositions interactives sur le vent, l’énergie éolienne et les technologies développées pour l’optimiser. Il s’agit du genre d’endroit où l’on entre avec l’air d’avoir déjà tout vu et où on finit par se laisser prendre par des bébelles qui font monter des balles dans des tubes. Comme tout est bilingue, on y apprend plein de choses à la fin.
Dehors, on avance de plus en plus vers la pointe ultime, mais, avant de tomber à l’eau, il y a le phare de North Cape (1866). Certainement l’un des plus utiles de toute la province puisque, à ces pieds s’étire le plus long récif en Amérique-du-Nord à qui on doit un véritable cimetière d’épaves. Une flèche rocheuse qui se dégage sur près d’un kilomètre à marée basse et sur laquelle on peut même marcher. De part et d’autre de cet éperon, deux masses marines prodigieuses se heurtent sans ménagement. Les eaux glaciales du golfe du Saint-Laurent et celles qui s’échappent du détroit Northumberland. Afin d’admirer cet affrontement naturel de même que cette côte que le vent a découpé en fine dentelle, le sentier pédestre Black Marsh longe la crête et est parsemé de panneaux informatifs bilingues qui traduisent la rudesse de l’environnement.
La mousse d’Irlande

Lorsque je m’éloigne un peu de la pointe, je remarque un petit camion qui est descendu sur la plage par je ne sais où ? Autour de lui, un homme en imperméable ramasse avec une fourche les algues que le vent a poussées sur la berge. Son camion bordé de ridelles est d’ailleurs plein à ras bord. On appelle cette manne irish moss… La mousse d’Irlande. À ne pas confondre avec la mousse d’Espagne, spanish moss, qu’on trouve dans les bayous louisianais. On en fait une sorte de gélatine sans gout et sans calories, le carragène, qui sert dans la préparation d’une foule d’aliments à base de produits laitiers. Le plus pittoresque d’entre eux demeure une spécialité locale étonnante, la tarte aux algues. Le Café Irish Moss de Miminegash est le spécialiste en la matière. Son dessert ressemble un peu à une tarte à la meringue. Un fond de gâteau blanc. Une gelée de carragène aromatisée aux fruits puis une bonne épaisseur de crème fouettée. On est loin de la gastronomie, mais, après y avoir gouté, on peut au moins se vanter d’avoir mangé de la tarte aux algues. Le Café propose la visite de son petit centre d’interprétation de la mousse d’Irlande, très bien fait et très instructif.
Pioneer Farm

Non loin de West Point, le village d’O’Leary propose la visite d’un musée qui est tout à fait à sa place sur l’Île-du-Prince-Édouard : le Centre d’interprétation de la patate. Un musée qui aborde en anglais et en français toutes les particularités de cette culture extrêmement importante sur l’ile, qui présente l’évolution de la machinerie et qui déborde sur l’extérieur en expliquant le rôle de certains bâtiments du village liés à cette industrie.
Et ce n’est pas tout. À la limite du territoire d’O’Leary, en bordure de la mer, on peut visiter la Ferme du Pionnier (Pioneer Farm), y vivre une expérience hors du commun et même y résider. Judy et Jim Bertling ne sont pas des hillbillies ou des hippies attardés. Ils ont fait carrière dans des secteurs hyper compétitifs et ont atteint un seuil d’écœurement qui les a poussés au décrochage radical. Jim, un Ontarien d’origine, et Judy, qui vient d’Angleterre, ont alors acheté leur petit paradis sur l’Île-du-Prince-Édouard et y ont aménagé leur ferme où ils vivent en autosuffisance ainsi que dans le respect rigoureux des principes écologistes les plus sévères. Ils ont redécouvert le bonheur et la pais avec leurs animaux qui sont devenus leur famille et qu’ils appellent tous par leur nom. Le couple fait visiter la ferme aux enfants et aux touristes, sans programme préétabli ni discours préparé à l’avance. Ils présentent simplement leurs animaux un à un et parlent de leurs relations avec eux. Ils permettent à leurs visiteurs de caresser les chèvres et les lamas, d’entrer dans l’univers de la vache et du cheval, de soulever la couverture sur les poussins et de s’amuser du comportement bon enfant de toute cette bassecour. Ils en parlent avec une passion qui séduit les citadins et un langage accessible à tous. En même temps, on découvre leurs efforts pour produire leur propre énergie éolienne ou pour disposer proprement de leurs déchets. Ce ne sont pas des intégristes, loin de là. Le tracteur fonctionne à l’essence et les cochons deviendront jambon à l’automne.

Jim et Judy proposent une expérience singulière aux amateurs de randonnée. Une sortie en compagnie des alpagas qui sont des animaux utilisés pour le transport des bagages dans les Andes. Ici, ils transportent le piquenique et permettent aux marcheurs d’avoir un contact particulier avec cet animal docile. Il est également possible de passer quelques jours sur la ferme et, si on le souhaite, de partager la vie des pionniers en vaquant aux travaux de la ferme avec les propriétaires. On a accès à une plage magnifique ainsi qu’à un banc de sable isolé. Une expérience différente.
Pour en savoir plus :
- Terrain d’essais éoliens de l’Atlantique : awts.pe.ca
- The Pionneer Farm : 1835, MacDonald Road (Route 176), Glenwood RR2, O’Leary